Coming out… entrepreneurial

1 octobre 2017 | la jolie aventure

Quand l’idée des Jolis Cahiers me tombe littéralement dessus un jour de décembre 2016, je la couve comme un bien précieux.

 

Au commencement, comme tous les entrepreneurs en herbe,  je suis paranoïaque : mon idée est tellement géniale (sic) que je veux la garder pour moi (l’avenir me démontrera que c’était un tort, j’y reviendrai plus bas…).

 

Puis, au fil des jours, ce projet m’obsède. Il remplit ma vie, je ressens comme une fièvre créatrice contre laquelle je ne peux pas, et ne veux pas, lutter. Je me lève Jolis Cahiers, je vis Jolis Cahiers, je rêve Jolis Cahiers… Chaque parcelle de temps libre, pris sur ma vie personnelle puisqu’évidemment j’ai encore un job full time, est entièrement consacrée à ce projet. J’ai pour ça la grande, que dis-je, l’immense, chance d’avoir le soutien plein et entier de mon mari. Celui de mes enfants aussi, qui, s’ils ne mesurent pas encore les changements à venir, sentent que c’est important pour moi… #jevousaime

 

Bref, je suis dans ma bulle. Je bosse, dur, mais comme dans une sorte de 4ème dimension dans laquelle il n’y a ni obstacle, ni difficulté, ni contradiction, ni question, ni jugement. J’ai une vision très claire de là ou je veux aller, des intuitions, des certitudes, très peu de doutes.

 

Ces instants, je les savoure. De façon un peu égoïste. C’est mon moment à moi, celui où je prends conscience que commence peut-être le reste de ma vie. Ce monde guimauve dans lequel je vis a un avantage : celui de me laisser croire que tout est possible, que la prochaine belle success story entrepreneuriale, c’est moi qui suis en train de l’écrire. Je me dis que j’ai le droit de projeter uniquement du positif car je sais que, ces quelques semaines, sont à vivre MAINTENANT. Un peu comme quand on materne son premier nouveau-né.

 

Question confiance et estime de soi, c’est formidable. Surtout que, dans le même temps, je travaille mon état d’esprit par des exercices d’écritures, des lectures… Je me sens inspirée, créative, tout me semble simple et fluide.

Je suis tombée amoureuse de mon idée

Puis un jour, en potassant sur le design thinking, je tombe sur cette phrase de Jim Glymph (associé du célèbre architecte Franck Gehry, à qui l’on doit notamment le Guggenheim de Bilbao)

Si vous figez une idée trop vite, vous en tombez amoureux. Si vous la perfectionnez trop vite, vous vous y attachez et il devient très difficile de poursuivre l’exploration, de continuer à chercher mieux. 

 

C’est un véritable déclic, à tel point que je la copie immédiatement et la colle sur le mur, devant mes yeux. Elle est là encore aujourd’hui, plusieurs mois après.

 

Pourquoi ? Parce qu’elle me fait prendre conscience que oui, je suis tombée amoureuse de mon idée et que finalement, quoi que j’en pense, je suis encore dans ma zone de confort ! Et que cela doit cesser. Je dois raconter, partager, argumenter, mais aussi écouter, confronter, convaincre…

 

Je dois parler de mon projet.

 

Pour débuter, sans me faire trop de mal, je sais pouvoir compter sur quelques personnes de mon entourage (cf cet article sur les personnes ressources). Avec elles, je ne ressens pas d’appréhension à l’idée de dévoiler ce qui m’anime, ni les tenants et aboutissants de ce sur quoi je travaille. Je sais qu’elles seront bienveillantes.

L’anonymat entrepreneurial

Mais en parler au-delà de ce cercle… Insidieusement la peur s’installe. La peur ??? Me direz-vous… Oui celle du jugement, celle d’être ridicule, que mon projet soit ridicule, que l’on ne me prenne pas au sérieux, que l’on ne me comprenne pas, que l’on aille raconter à mon boss que j’ai une double vie pro, que mon projet avorte lamentablement. Je ne veux donc surtout pas que l’on sache qui est derrière les Jolis Cahiers. L’anonymat me sied bien.

 

En bref, je n’assume pas. Même si aujourd’hui, plus que jamais sans doute, les vertus de l’entrepreneuriat sont largement reconnues, je me demande comment vont réagir ceux à qui je vais raconter tout ça ! Pour tout dire, à cette heure, ma propre mère n’est même pas encore au courant de l’existence des Jolis Cahiers. Confession bis, j’ai même songé à prendre un pseudo, c’est dire… (oui, je sais c’est vraiment idiot je m’en rends compte maintenant que je l’écris !)

 

C’est pourquoi, toute proportion gardée, j’ai le sentiment d’être confrontée à un véritable « coming out entrepreneurial », dans son acception la plus large c’est-à-dire le fait de rendre publique une caractéristique personnelle jusque-là tenue secrète…

 

Je ne suis pas du genre à reculer devant l’obstacle, mais je me suis donc posée beaucoup de questions. Notamment celle du meilleur moment pour le dire. Idéalement, j’aurais voulu pouvoir attendre que le projet soit très avancé, que je puisse montrer un produit quasi fini et puis surtout pour ne pas tout mélanger, attendre d’avoir tourné la page de mon activité professionnelle d’aujourd’hui.

 

Un jour j’irai vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien… Mais je ne vis pas en Théorie, ni dans l’Idéal…

 

Il m’a donc fallu dire. Le « secret » n’était plus tenable, car au fond de moi j’avais envie de le crier à la terre entière. Et il vrai que je me suis sentie libre de le faire lorsque j’ai eu réglé la question de mon poste actuel, de l’annonce à mon équipe et à mes collègues.

 

Et donc,  j’ai fait mon coming out.

 

La plupart du temps, tout s’est bien passé :

  • Super, tu en as de la chance… Non je n’ai pas de la chance, je travaille dur et je fais des choix.
  • Nooon ! Mais alors en janvier tu n’as plus de job… Si, en janvier j’ai un job, celui de monter ma boîte !
  • Ah bon ? Mais le développement web ce n’est pas ton métier ça… Non, c’est vrai, mais je n’ai jamais dit que j’allais tout faire toute seule.
  • Ohhh, tu es courageuse… Non, je ne suis pas courageuse, audacieuse peut-être, mais le courage est celui de mon grand-père débarquant sur une plage de Provence le 15 août 44. Moi, je n’ai pas grand chose à perdre avec Les Jolis Cahiers !
  • Et ton mari, il en pense quoi ?… Je ne lui ai pas demandé son autorisation, mais il me soutient, merci…
  • Tu n’as pas peeeeuuurrr ???… Non, même pas, j’ai hâte, vraiment hâte…
  • Et ils ont commencé les recrutements pour te remplacer ? Comment on postule ?… #lol

 

Et le reste du temps, tout s’est très bien passé.

 

Je le sais à présent : parler de son projet entrepreneurial est essentiel.

 

Neuf fois sur dix je sors de la conversation avec une idée nouvelle, un point de vue intéressant, une remise en cause salutaire, un encouragement sincère, une mise en garde bienvenue, un tuyau en or, une critique qui me fait avancer, une remarque désobligeante qui me challenge… L’essentiel est là, je progresse, je construis et pas de retour en arrière possible : il y aura un avant et un après les Jolis Cahiers.

 

Bien sûr, parler publiquement de mon projet, c’est aussi une façon de me motiver, c’est un carburant pour agir, pour ne pas me dégonfler.

 

Pardon, vous dites ? Si je n’ai pas peur que l’on me vole mon idée ?

 

Oui, parfois j’y pense, et puis quoi ? Plus j’en parle, plus on sait que c’est moi qui en suit «l’inventrice » initiale. De plus, une idée ne se protège pas (ou presque pas), ce qui compte c’est sa mise en oeuvre, sa concrétisation. Enfin, l’idée n’a de valeur que sur la ligne d’arrivée, je compte bien y être la première !

 

Enchantée, je m’appelle Sophie Péan et je suis entrepreneure.

 

Photo by Brooke Lark on Unsplash