Le joli cahier de… Oriane
Oriane a 41 ans, elle habite Angers. Nous sommes rencontrées en novembre 2018 lorsqu’elle m’a fait le plaisir de m’inviter à prendre la parole dans son podcast « Avez-vous choisi ?». J’ai tout de suite senti beaucoup d’affinités avec elle. C’est une femme caméléon : aujourd’hui coach professionnelle, médaille d’or du conservatoire en flute traversière à 18 ans, mais aussi pianiste, chanteuse et musicienne à ses heures dans un groupe monté avec un ami, férue d’art en général, elle arpente les brocantes pour s’adonner à la passion de la chine. Elle pratique le cross fit, a couru la Spartan Race aux USA (courses à obstacles). J’apprécie son tempérament déterminé, savant mélange de force et de douceur, ses valeurs d’engagement et d’écoute et nous nous sommes rapidement trouvées sur la même longueur d’onde puisqu’elle était en pleine réflexion sur son changement de vie professionnelle au moment où la mienne prenait un tour nouveau avec la création des Jolis Cahiers. Et puis, bien sûr, il a été très vite question de l’écriture et de ses bienfaits, une conviction que nous partageons. Tout cela nous a conduits à rester en contact au fil des mois. Je m’étais promis de l’écouter parler de son rapport aux mots et à l’écrit : ce fût chose faite en janvier… 2020 ! Depuis notre entretien dormait dans les pages de mon cahier de notes, ma vie d’entrepreneure ayant été bousculée par ce que vous savez, sans avoir pris le temps de vous partager notre échange, ce que j’ai plaisir à faire aujourd’hui. Je vous propose donc d’entrer sans plus attendre dans le joli cahier d’Oriane, avec un détour sur son parcours atypique…
Qui es-tu Oriane ?
J’ai suivi des études littéraires, alors que, bonne élève, on m’incitait plutôt à m’orienter vers un parcours scientifique. Après un Bac L, j’ai donc fait le choix d’aller vers ce qui me plaisait vraiment, avant de penser aux questions de performance, de destinée ou même de métier, sans me préoccuper de ce qui m’ouvrirait le plus de portes. J’avais envie de lire, d’apprendre des langues, de faire de la philo, car je pressentais que cela me plairait.
— D’écrire peut-être aussi ?
Oui, d’écrire déjà ! J’ai toujours aimé ça : le geste de l’écriture sur le papier, les cahiers… J’adorais préparer mes cahiers à la fin des grandes vacances. Il y avait vraiment un moment d’exaltation qui contribuait à la joie de la rentrée.
Je me suis donc retrouvée en classe prépa littéraire, l’écriture est devenue centrale, je produisais des dissertations au kilomètre, sous format contraint. C’était intéressant, intense en termes de rythme et d’apprentissage. Mais par la force des choses, j’ai perdu de vue, à ce moment, l’écriture plaisir.
— Cela ne t’a pas « dégouté » de l’écriture ?
Non. Même si plus tard j’ai pris conscience de cet éloignement, et que j’ai voulu renouer avec l’écriture pour moi, j’étais quand même dans la joie d’apprendre, d’écrire.
Ensuite, j’ai poursuivi mes études par une spécialisation en anglais. Après une année Erasmus en Angleterre j’ai intégré l’École Normale Supérieure avec le projet de m’atteler à ma thèse et pour préparer l’agrégation qui devait naturellement m’emmener vers le métier d’enseignante. J’étais sur des rails, mais au fond, je savais déjà que ce n’était pas la voie qui m’appelait ! J’adorais apprendre, mais je gravitais dans un univers très déconnecté de la vraie vie. Je me souviens qu’après avoir passé les écrits de l’agrégation, je préparais les oraux tout en me disant que je n’en avais pas du tout envie ! Mais sans savoir ce que je voulais faire d’autre. Juste que je voulais me consacrer à des choses plus concrètes : la vision très livresque de la vie ne me nourrissait plus comme je l’espérais.
Alors, j’ai tapé dans Google : anglais, offre d’emploi et je suis devenue prof d’anglais… dans La Marine Nationale. Durant deux ans, j’ai été officier instructeur chez les fusiliers marins commandos à Lorient. Il s’agissait de former les forces spéciales qui sont projetées sur le terrain. Je voulais de l’opérationnel, j’ai été servie ! Cerise sur le gâteau, moi qui en rêvais depuis l’âge de dix ans, j’ai pu passer mon brevet de parachutisme. Ma famille a été surprise de ce choix, que j’ai fait parce que cela avait du sens, mais sans pour autant imaginer une carrière militaire pour le reste de ma vie. C’était une expérience riche à tout point de vue. J’ai rencontré des gens avec des expériences de vie incroyables, très engagés, qui m’ont fait confiance pour contribuer avec mes compétences à faciliter leur travail et développer leur expertise. Bon, il y avait aussi des personnalités plus compliquées ! Ces années m’ont mises sur la voie de ce que je cherchais : utiliser l’anglais, que j’adore pratiquer, comme un outil au service d’une mission et non pas comme un objet d’enseignement ou de recherche. J’ai donc repris mes études pour faire un master en management interculturel. J’ai ensuite intégré différents grands groupes pour des missions transversales dans le domaine de la RSE notamment. L’anglais était ma langue de travail au quotidien.
Si nous parlions un peu cahier et écriture…
Longtemps, ils ont été associés au monde de l’école. Après mes études, ils ont intégré ma sphère privée. J’ai continué à utiliser des cahiers pour moi. J’ai toujours un carnet dans mon sac pour prendre des notes. Curieusement, dans mes premiers jobs, ils ont disparu de mon quotidien professionnel : je trouvais plus pratique d’aller en réunion avec mon ordinateur portable. Puis, quand j’ai commencé à réfléchir sur ma reconversion, à travailler sur le podcast, je suis naturellement revenue vers le papier. J’ai différents cahiers qui correspondent à des sujets, projets différents. Ce qui a vraiment monté en puissance depuis trois, quatre ans c’est le cahier qui me sert à ma routine d’écriture quotidienne. À l’adolescence, qui n’a pas été une période très facile même si cela ne transparaissait pas, j’écrivais beaucoup. C’était une pratique cachée, de l’ordre du journal intime : surtout que personne ne tombe dessus ! J’avais énormément de questionnement intérieur et donc mon cahier était vraiment un compagnon de route et un exutoire. J’avais besoin de lui, car je me confiais très peu. En le relisant vers 19 ans, j’ai constaté que ce que j’y couchais était assez négatif. J’étais constamment dans ce qui n’allait pas. Cela ne m’a pas plu du tout plu de relire ça et j’ai brûlé mes écrits. Je n’ai pas eu envie de garder ces traces de doutes, de mal-être. C’était peut-être un peu cathartique quand j’y repense !
Suite à cet épisode, je n’ai pas du tout pratiqué d’écriture intime pendant des années. Puis, j’ai senti le besoin de la réintégrer dans ma vie. Cela s’est fait crescendo. J’ai commencé par noter des petites choses, puis de plus en plus.
Est-ce qu’un élément particulier a déclenché ce retour à l’écriture de soi ? Tu t’es dit, il faut que je m’y remette ?
L’envie est venue ponctuellement au début, puis s’est faite plus pressante avec la volonté de ne pas me cantonner à ce qui ne va pas, mais plutôt de construire ma pensée et mes envies par l’écrit. J’ai constaté au fil des jours en quoi cela m’aidait à clarifier non pas ce que je ne veux pas ou plus, mais plutôt ce que je veux vraiment. Je suis convaincue que l’écriture m’a aidée à faire un pas de côté. À ne plus être prise dans l’engrenage du quotidien, à appuyer sur pause, à prendre quelque minutes pour me questionner, poser deux, trois idées. C’est devenu de plus en plus nécessaire. En parallèle, l’idée du podcast, ma formation au coaching, le fait que je commence à envisager de lancer mon activité indépendante ont nécessité que je crée de l’espace pour y réfléchir. Le faire noir sur blanc, et non plus sur l’ordinateur, m’a aidé à m’approprier cette vision nouvelle qui se dessinait. Écrire sur un clavier a un côté très efficace, productif. Mais quand je crée, le papier est plus efficient pour moi. J’ai lu récemment une étude qui démontre que le fait d’écrire ses objectifs et ce que l’on veut vraiment dans un cahier augmente de 42 % la chance de réussir à les atteindre. Je trouve que c’est extraordinaire. Je suis convaincue depuis très longtemps du pouvoir des mots. Il y a là le premier pas du passage à l’action. Écrire est donc pour moi un outil extrêmement important et puissant. Ce qui m’a confortée c’est aussi la lecture du livre Libérer sa créativité de Julia Cameron, qui évoque la pratique des pages du matin. Il y a eu pour moi convergence entre mon expérience de cette pratique et ces données extérieures qui ont renforcé ma conviction de devoir m’organiser pour laisser de la place à l’écriture dans ma vie. Cela m’a permis d’être plus en phase avec la personne que je voulais être, vis-vis de moi et mes proches. Je sais maintenant que l’écriture est un médium important pour moi.
— Aujourd’hui, gardes-tu tous ces cahiers ?
Oui. Je ne reviens pas forcément sur tout ce que j’écris, mais j’aime à dire que cela m’aide dans ma cueillette des étoiles filantes. J’ai envie de capturer des idées, des mots, des phrases qui passent et j’ai ainsi le sentiment de les graver en moi, même si je ne les relis pas. Ce qui n’est pas du tout le cas quand je prenais des notes sur mon smartphone par exemple.
Je jette plus facilement un oeil à mes cahiers projets, notamment quand je suis en phase de construction. Comme j’y laisse fuser mes idées, j’y trouve régulièrement des inspirations.
Ceux de ma routine, je n’y retourne quasi jamais. En revanche quand j’en ai fini un, je le parcours quand même rapidement : j’aime bien vérifier s’il y a des éléments récurrents ce qui est intéressant pour repérer des thèmes émergents, de la matière qui peut m’aider à progresser, me donner des idées pour le podcast ou mon métier de coach. Je m’interroge sur ce qu’il adviendra d’eux quand je serai morte. Ces écrits sont de moi à moi. Ils ne sont pas cachés, mais je n’ai pas envie que quelqu’un lise tout ça. Est-ce que je dois tout détruire tout au fur et à mesure ? Je n’ai pas encore décidé. En tout cas je ne veux pas que la peur qu’ils soient trouvés soit un frein, que cela m’impose d’adapter mon écriture. Je veux que cela reste libre, pas de contrainte, ni dans la forme ni dans le fond.
— Comment écris-tu dans tes cahiers ?
Dans mes pages du matin, c’est assez linéaire, sans souci du style et de la belle phrase ! Le fond est plutôt tourné vers des sujets personnels bien qu’il m’arrive d’y noter quelques idées pros sous forme de listes. Dans mes cahiers projets, c’est assez varié. Il s’agit souvent de mots, de bout de phrases, de listes, mais je fonctionne aussi beaucoup avec le mind map qui m’aide à structurer mes idées et que je trouve très efficace. Je l’utilise même pour préparer mes vacances par exemple. Je m’essaie aussi au sketch notes, mais je n’ai pas encore passé le cap de l’intégrer complètement dans mes habitudes.
Tu es coach professionnelle, l’écriture fait-elle partie de ta boite à outils ?
Oui, car écrire donne une puissance à nos mots et à leur choix. Quand on démarre un coaching individuel, on part pour une aventure de huit mois. Il est important de définir précisément l’objectif et de clarifier le « qu’est-ce que je veux vraiment ». Cela passe bien sûr par un échange verbal, mais le fait de l’écrire donne encore plus de poids, permet d’affiner la pensée, d’affirmer le sens et active la motivation puisque l’on cherche la formulation la plus personnelle possible. C’est aussi une façon d’ancrer le but et de marquer un engagement avec soi. C’est pour ça que je remets à mes clients un cahier pour les encourager dans cette voie de l’écrit. C’est pour moi essentiel, car on oublie très vite ce qui est important, ce qui nous a marqués, aidés, ce que l’on aime… Prendre l’habitude de noter des moments clés, des jalons, permet de matérialiser une évolution. Se dégager du temps pour écrire, c’est une façon de se créer un espace, de prendre soin de soi, de se choisir. Bien sûr, c’est une proposition que je fais, un moyen que je mets à leur disposition. Mes clients l’apprivoisent ou pas.
S’il t’arrive de ne pas pouvoir écrire, comment te sens-tu ?
J’essaie d’en faire une pratique quotidienne, le matin, autant que possible. Cela démultiplie ma capacité à être présente à ce que je fais, à être efficace. Si je fonce tête baissée dans ma journée au cours de laquelle je ne fais que réagir à ce qui se passe autour de moi, je serai dans un rythme qui n’est pas le mien. Comme je suis une perfectionniste en voie de guérison, j’ai appris à ne pas être prisonnière de cette routine. J’en retire beaucoup de bienfaits, mais elle doit rester à mon service. C’est un point de vigilance, car au début quand je manquais ce rendez-vous, je m’en voulais de ne pas l’avoir honoré. Je me suis détachée de ces pensées avec l’intention que l’écriture reste à sa place : un outil à mon service. Ainsi parfois, je vais écrire le soir si je n’ai pu le faire avant ou je vais passer deux, trois jours sans toucher à mon cahier. Ce qui est certain c’est que j’ai dorénavant un lâcher-prise sur le sujet. Néanmoins, cela me manque beaucoup quand je ne peux m’y adonner. Car c’est justement les jours où le rythme est un peu dingue, où je compose avec des exigences familiales, professionnelles que j’aurai le plus besoin d’écrire ! Si j’arrive à m’accorder du temps pour le faire ces jours-là, c’est hyper puissant. Ce que je mets en œuvre et qui fonctionne bien, c’est définir ma limite basse : trois, quatre pages. Si au moins je fais ça, je sais que j’ai pris l’espace qui m’est nécessaire. Un interstice peut suffire, parfois j’écris trois lignes, mais je l’ai fait. Ce n’est pas tant écrire pour écrire, mais le respect de soi que cela représente. Je le décide, je prends le pouvoir, pendant ce laps de temps j’ai la main, je fais quelque chose qui me nourrit, qui alimente mon énergie.
Comment aimes-tu tes cahiers ?
Le format A5 est mon préféré ; il est pratique, il se glisse partout. Après avoir longtemps écrit sur des cahiers lignés, je préfère maintenant la grille de points. Elle procure un repère visuel qui permet d’écrire droit et de faire des schémas, des croquis. Pour mes projets pros, j’aime les couvertures unies, mais avec des couleurs flashy. Pour le perso, je fonctionne au coup de cœur, j’achète beaucoup de cahiers, les papeteries me font saliver et j’en ai toujours plus que j’en ai besoin. J’adore aussi en faire cadeau. Car au-delà de l’objet, j’ai le sentiment d’offrir un espace de liberté et de créativité.

Dans quel cahier aimerais-tu te glisser ?
Spontanément, je pense à Léonard de Vinci, pour regarder par-dessus son épaule et voir s’exprimer son génie créatif. Il a énormément pratiqué l’écriture quotidienne, même si beaucoup de ses notes ont été perdues. Plus généralement, les cahiers d’écrivains : y lire tout ce qui me permettrait de comprendre leur processus de création, comment se structure un roman, les phrases, le jeu avec les mots m’intéresserait. Côté femmes, plonger dans les écrits d’Élisabeth Badinter ou de Romy Schneider, qui m’émeut beaucoup, me tenterait bien aussi !
Pour finir, comme le veut la tradition, peux-tu nous partager une phrase ou une citation inspirante ?
Celle qui m’accompagne depuis quelque temps déjà est “Saute et le filet apparaîtra.”
Dans ma routine, j’aime aussi ré-écrire chaque jour quelques phrases dont « je choisis le courage avant le confort » ou « il y a une solution à chaque chose ».
Mille mercis à Oriane d’avoir partagé pour les Jolis Cahiers son goût de l’écriture. Pour en savoir plus sur elle, vous pouvez visiter son site. Si la question du choix vous intéresse vous pouvez aussi :
- lire son livre
- Ecoutez les épisodes de son podcast Avez-vous choisi, celui dans lequel elle m’a reçue est ici !
J’espère que cette nouvelle interview vous aura donné envie d’attraper un stylo et un cahier pour vivre la feel good paper théorie ! Si, comme Oriane, vous avez envie de me parler de vos cahiers, envoyez un message à contact@lesjoliscahiers.fr, j’adore vous écouter !